Phèdre ou le mal de mère

Je m’attaque à Phèdre, en n’y gardant rien.

Mon désir est né tard. A peine au fils songé,

Sous les abois des veines j’étais affligée,

Mon statut, ma fonction semblait m’avoir affermie,

Mais toute prégnante se montrait mon ennemie.

Je les vois, je rage, je maudis leur tenue ;

Un courroux résonne contre mon ventre nu ;

Mes yeux voyaient landau, couffin, sac à langer ;

Je sentais tout mon corps se raidir, s’assécher.

Je reconnus Héra et ses fraises enviables,

Ses menstrues qu’elle poursuit à rendre moins fiables.

Par des lits assidus, je crus hameçonner :

je couchais, je flattais, je voulais siphonner ;

De consentants jouets à toute heure entourée,

Je cherchais dans leurs flancs ma raison d’espérer.

D’un insatiable amour remèdes innocents !

En vain dans les hôtels je frôlais l’indécent :

Quand ma bouche implorait le nom de mon amant,

J’adorais la graine qui serait mon enfant.

Même les attentions qui pourtant s’exprimaient

N’arrêtaient cet enjeu que je n’osais nommer.

Je le berçais partout. O comble d’être mère !

Mes yeux se trouveraient dans cette vraie chimère…

Contre ma vacuité j’osai me révolter :

Je vivais otage de ma fécondité.

Pour bannir l’obsession me rendant acariâtre,

Je consultais longtemps un pompeux psychiatre :

Je confiai mes ordres, il me parlait phallus ;

Je parlais désordres, il me confiait les us.

Je m’ouvrais à la vie appréciant mes talents,

Mes nuits moins agitées rendaient mes jours moins lents.

Soumise à horloge, je fuyai l’échéance

Congelant mes espoirs pour tenter la chance.

Vaines précautions ! Cruelle destinée !

Je suis vieille et seule, avare d’hyménée.

Le refus d’adoption, pour que mon sang tisse,

Me prive de caresse et du bonheur d’un fils.

J’ai voulu attendre et il faut me rendre

Je ne veux tout tenter pour braver mes cendres.