Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Je lis,j'écris,je ris...ou pas
21 juillet 2015

Dieu me garde d'oublier

J’ai oublié le jour de ma naissance, le temps qu’il faisait et si ma mère était heureuse.

J’ai oublié de demander à mon père s’il était présent et s’il souhaitait être ailleurs.

J’ai oublié comment j’étais petite, si je riais quand je tombais et si je tombais pour obtenir des rires.

J’ai oublié les rires de ma sœur quand elle courrait après les éclats de poussière, déclamant que c’était des fées qui l’inviteraient au bal si elle les attrapait.

J’ai oublié les boucles de mon frère qui s’offraient au soleil et qu’il fallait caresser de crainte qu’elles s’inclinent.

J’ai oublié si nous étions ensemble parce que le sang nous obligeait ou parce que le toit ne fuyait pas.

J’ai oublié les cartes que je dessinais les jours de fête, vouées à l’amour, à l’espoir et coloriées aux regrets.

J’ai oublié les chansons qui m’endormaient, mais pas les frayeurs qui m’éveillent encore.

J’ai oublié l’odeur de mon doudou qui me serrait la nuit de peur que je l’oublie.

J’ai oublié la joie de mon chien quand il percevait les pas qui approchaient de l’heure de sa gamelle.

J’ai oublié les premiers pas de mes enfants, attendant que je les empêche de faillir sur la route qui les mène jusqu’à moi.

J’ai oublié les pleurs, les larmes, les crises qui partageaient nos cœurs et leurs battements féroces qui dominaient nos crânes.

J’ai oublié les peurs de ma mère lorsqu’elle m’accueillait aux portes de mon berceau.

J’ai oublié le silence de mon père lorsqu’il cajolait mon image et ignorait mes soupirs.

J’ai oublié la foi de mon mari bâtissant notre futur de promesses et d’exactitudes.

J’ai oublié une longue adolescence aux sanglots inépuisables, affamée de mort et d’inoubliable.

J’ai oublié ma première dent et cette souris périlleuse qui a rejoint le Père Noël au rang des histoires à défiler.

J’ai oublié mon premier baiser qui n’a jamais été, comme tant d’autres, qu’un vide à combler.

J’ai oublié de sortir les poubelles.

J’ai oublié le goût du Nutella, sans faiblesse ni repentir.

J’ai oublié la science de la boue qui sublimait mes rêves de cuisinière.

J’ai oublié l’innocence des veillées, les oreilles tournées vers Hugues Aufray, les yeux vers les étoiles.

J’ai oublié les craquements des feuilles d’automne, gémissant autour de mes chevilles aveuglées de cuir et de hauteur.

J’ai oublié la main sur mon front s’inquiétant de sa chaleur pour ne garder que la fraicheur du thermomètre obligeant à me découvrir.

J’ai oublié les baisers de mes enfants, insatiables de bave et de total abandon.

J’ai oublié les mots doux de mon mari remplis d’attention et prêts à suppléer ma mémoire défaillante.

J’ai oublié les effusions torrides et les jalousies stupides.

J’ai oublié les traits de mon grand-père qui s’affirment dans chacune de mes expressions d’abdication.

J’ai oublié les levers de soleil explosant de couleurs pour ne garder que les couchers écrasant de noirceur.

J’ai oublié les ombres chinoises qui transformaient mes mains en émerveillement.

J’ai oublié les bras tendus de mes enfants, attendant que je les élève pour atteindre leurs rêves.

J’ai oublié les messages pleins d’humour de mon mari, proclamant que la routine serait notre plus belle réussite.

J’ai oublié la douleur des accouchements pour n’en garder qu’une libération signant la fin de l’inconnu et de la solitude.

J’ai oublié le calme des soirs d’hiver calfeutrés par la neige et l’euphorie des matins où toutes les empreintes sont possibles.

J’ai oublié l’attente d’un réveil, un temps de suspension où les respirations s’emplissent d’anxiété.

Je ne garde que les rouages de mon cerveau qui s’embrouillent, incapables de se rappeler que ce qui a été est acquis, que ce qui sera est à soi.

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Agréable balade sur ton blog. Bonne soirée
Répondre
Je lis,j'écris,je ris...ou pas
Publicité
Archives
Publicité